Les linguistes atterrées répondent régulièrement à des questions que les auditeurs et auditrices adressent à la médiatrice de Radio France à propos de la langue. Aujourd’hui, nous vous proposons un billet à partir d’une question sur « voilà » :
« Tous ces « voilà » qui ponctuent le discours, voilà, de votre invitée, c’est… voilà, comment dire ? À part, voilà, insupportable ? »
Ils « ponctuent le discours » : c’est intéressant, parce qu’on a parlé à un moment aussi en linguistique de ponctuants, pour ces petits mots comme « voilà ».
Parler de « ponctuants» ça supposait que ces mots fonctionneraient comme les pauses, ou comme les montées ou descentes d’intonation, qu’ils serviraient à segmenter les groupes de mots et qu’ils seraient interchangeables. En clair, qu’on répète « voilà, voilà », « ben, ben », « tu vois, tu vois » ce serait un peu la même chose, chaque personne aurait son ponctuant préféré mais ce serait une sorte de virgule orale.
Or, les approches actuelles considèrent ces mots comme des marqueurs discursifs ; les recherches montrent qu’ils ne sont pas complètement interchangeables, qu’ils gardent un noyau de sens, et qu’ils jouent un rôle très important dans la conversation. Cela explique aussi pourquoi on les utilise dans un certain ordre, et non n’importe comment. Par exemple, on entendra souvent « bon ben voilà », dans cet ordre, et non pas « ben… bon voilà », ou « voilà ben… bon ».
Ces petits mots ont une utilité
« Bon » sert souvent à valider son propre propos, « beeen…» souvent allongé, sert à annoncer une suite difficile à dire ou difficile à trouver, et « vois–là » soumet à l’attention de l’autre ce qu’on vient de dire. Voilà !
Ces marqueurs constituent autant de petits indices du point de vue de la personne qui parle par rapport à ce qu’elle dit ou par rapport à ce que l’autre vient de dire, ou pourrait dire, ou pourrait penser. On prend souvent les devants, en parole, par rapport à la pensée qu’on prête à l’autre.
Il est parfaitement vrai qu’on peut, grammaticalement, éliminer ces marqueurs de nos discours. Mais sans ces indices, nos conversations seraient bien moins fluides !
Il est vrai aussi qu’on n’a pas besoin de produire le même marqueur tous les trois mots, certes. Mais le surmarquage arrive à tout le monde notamment quand on est stressé. On se jette sur un marqueur discursif, et on le répète pour surmonter son stress, pour gagner un peu de temps, pour donner des indices à la personne qui écoute. Mais on ne prend pas n’importe lequel pour le répéter! Il y a des gens qui vont dire sans arrêt « effectivement » ou « si vous voulez », dans un mouvement de concession permanente, d’autre qui vont répéter “du coup” pour assurer de manière appuyée une forme de lien entre leurs affirmations, d’autres vont parsemer leurs discours de “en fait, en réalité”, pour attirer l’attention sur leur attachement à la vérité sur des sujets polémiques. D’autres, comme dans l’exemple donné par l’auditeur ici, vont dire « voilà, blabla voilà, blablabla voilà », en essayant de se rassurer sur le fait que l’autre continue à écouter.
Les observer sans s’agacer?
Plutôt que de s’agacer, il serait plus intéressant d’observer quel est le marqueur discursif préféré de la personne invitée et essayer de mieux comprendre son type de stress : ça peut devenir ludique, comme une devinette. Il est facile d’imaginer que les personnes qui ont peu l’habitude de parler à la radio vont être plus stressées par la situation, et que cela s’entendra à l’antenne. Ne pas tolérer ces marques de stress conversationnel revient à dire qu’on préfère des émissions qui n’invitent que des personnes professionnelles de la parole. Mais cette exigence réduirait considérablement la diversité des invités qu’on entendrait à la radio!
Maria Candea
Voir la vidéo du 27/07/2023 sur le site de Radio France:
https://mediateur.radiofrance.com/videos/voila-maria-candea/
Les linguistes atterrées répondent régulièrement à des questions que les auditeurs et auditrices adressent à la médiatrice de Radio France à propos de la langue. Aujourd’hui, nous vous proposons un billet à partir d’une question sur « voilà » :
Ils « ponctuent le discours » : c’est intéressant, parce qu’on a parlé à un moment aussi en linguistique de ponctuants, pour ces petits mots comme « voilà ».
Parler de « ponctuants» ça supposait que ces mots fonctionneraient comme les pauses, ou comme les montées ou descentes d’intonation, qu’ils serviraient à segmenter les groupes de mots et qu’ils seraient interchangeables. En clair, qu’on répète « voilà, voilà », « ben, ben », « tu vois, tu vois » ce serait un peu la même chose, chaque personne aurait son ponctuant préféré mais ce serait une sorte de virgule orale.
Or, les approches actuelles considèrent ces mots comme des marqueurs discursifs ; les recherches montrent qu’ils ne sont pas complètement interchangeables, qu’ils gardent un noyau de sens, et qu’ils jouent un rôle très important dans la conversation. Cela explique aussi pourquoi on les utilise dans un certain ordre, et non n’importe comment. Par exemple, on entendra souvent « bon ben voilà », dans cet ordre, et non pas « ben… bon voilà », ou « voilà ben… bon ».
Ces petits mots ont une utilité
« Bon » sert souvent à valider son propre propos, « beeen…» souvent allongé, sert à annoncer une suite difficile à dire ou difficile à trouver, et « vois–là » soumet à l’attention de l’autre ce qu’on vient de dire. Voilà !
Ces marqueurs constituent autant de petits indices du point de vue de la personne qui parle par rapport à ce qu’elle dit ou par rapport à ce que l’autre vient de dire, ou pourrait dire, ou pourrait penser. On prend souvent les devants, en parole, par rapport à la pensée qu’on prête à l’autre.
Il est parfaitement vrai qu’on peut, grammaticalement, éliminer ces marqueurs de nos discours. Mais sans ces indices, nos conversations seraient bien moins fluides !
Il est vrai aussi qu’on n’a pas besoin de produire le même marqueur tous les trois mots, certes. Mais le surmarquage arrive à tout le monde notamment quand on est stressé. On se jette sur un marqueur discursif, et on le répète pour surmonter son stress, pour gagner un peu de temps, pour donner des indices à la personne qui écoute. Mais on ne prend pas n’importe lequel pour le répéter! Il y a des gens qui vont dire sans arrêt « effectivement » ou « si vous voulez », dans un mouvement de concession permanente, d’autre qui vont répéter “du coup” pour assurer de manière appuyée une forme de lien entre leurs affirmations, d’autres vont parsemer leurs discours de “en fait, en réalité”, pour attirer l’attention sur leur attachement à la vérité sur des sujets polémiques. D’autres, comme dans l’exemple donné par l’auditeur ici, vont dire « voilà, blabla voilà, blablabla voilà », en essayant de se rassurer sur le fait que l’autre continue à écouter.
Les observer sans s’agacer?
Plutôt que de s’agacer, il serait plus intéressant d’observer quel est le marqueur discursif préféré de la personne invitée et essayer de mieux comprendre son type de stress : ça peut devenir ludique, comme une devinette. Il est facile d’imaginer que les personnes qui ont peu l’habitude de parler à la radio vont être plus stressées par la situation, et que cela s’entendra à l’antenne. Ne pas tolérer ces marques de stress conversationnel revient à dire qu’on préfère des émissions qui n’invitent que des personnes professionnelles de la parole. Mais cette exigence réduirait considérablement la diversité des invités qu’on entendrait à la radio!
Maria Candea
Voir la vidéo du 27/07/2023 sur le site de Radio France:
https://mediateur.radiofrance.com/videos/voila-maria-candea/
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