Est-ce une faute d’employer malgré que? L’Académie Française écrit dans son dictionnaire: « Même si de nombreux écrivains ont employé Malgré que dans le sens de Bien que, quoique, il est recommandé d’éviter cet emploi » sans dire pourquoi. Elle reconnait bien l’existence de malgré que mais selon elle, il ne s’emploie qu’« avec le verbe avoir conjugué au subjonctif: malgré que j’en aie». Sans dire pourquoi.
D’où vient l’idée d’une conjugaison unique avec avoir?
Retournons au XIIIe siècle pour comprendre. Malgré vient de la soudure de mal gré (mauvais gré, mauvaise volonté) comme beaucoup de beau coup (une belle coupe = un bon morceau). En se soudant en un seul mot, malgré devient une préposition, de la même façon que beaucoup devient un adverbe. Donc le tour (c’est-à-dire le fait d’utiliser une certaine forme) en avoir vient de cet emploi nominal, lorsque le nom gré était l’antécédent d’une subordonnée relative et correspondait au complément d’avoir : quelque mauvais gré que j’aie (= malgré ma mauvaise volonté).
Pourtant, l’Académie française reconnait dès la première édition de son dictionnaire au XVIIe siècle que malgré est devenu une préposition (malgré moi, malgré la pluie). Ainsi, si ce n’est plus un nom, il ne peut plus être complément du verbe avoir. Recommander malgré que j’en aie, c’est donc perpétuer un usage obsolète, devenu incompréhensible par la soudure de mal et gré. Voilà notre règle zombie.
Le TLFi juge le tour en avoir « vieilli » : si on veut le maintenir, il faudrait l’écrire mal gré.
Alors quel(s) verbe(s) après malgré que?
Qu’en est-il de l’usage de malgré que sans avoir ? Il s’est développé sur le modèle des autres subordonnées circonstancielles qui commencent volontiers par une préposition suivie de que : avant que, après que, pendant que pour les subordonnées temporelles, selon que pour les subordonnées conditionnelles, pour que, pour celles de but, etc. On a là une règle générale, que suit parfaitement malgré que. Rien ne nous oblige à utiliser bien que.
Et bien des écrivains l’ont employé, de Balzac (1820, malgré que Stuart les ait vus conjurés), à Annie Ernaux (1977, J’ai regretté alors d’avoir tout raconté, malgré que ce soit surtout médical et technique), en passant par André Gide (1907, malgré que le fils aîné vous souffle), ou Roger Martin du Gard (1955, je n’ai pas hésité, malgré que ce dût être une œuvre en plusieurs volumes).
Pourtant, la pression de la norme puriste nous embarrasse, et nous pousse parfois à dire malgré le fait que, pour éviter malgré que. C’est ce qu’on appelle l’hypercorrection : inventer un tour complexe, maladroit, par peur de commettre une faute (qui justement n’en est pas une).
Un usage de plusieurs décennies
Déjà en 1949, le linguiste belge Joseph Hanse écrivait à propos de malgré que (Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, Paris Bruxelles, Baude, 1949, p. 423) :
Il faut, me semble-t-il, bannir tout scrupule et s’incliner devant l’accomplissement d’une évolution nouvelle.
Dans le Bon Usage, Maurice Grevisse et André Goosse reconnaissent malgré que comme locution conjonctive (2011, p 1563) :
Malgré que a peut-être appartenu d’abord à l’usage populaire. La locution n’a plus ce caractère, comme le montrent les exemples suivants (où l’on remarquera les subjonctifs imparfaits ou plus-que-parfaits), qui font fi de la résistance des puristes,
par exemple : malgré qu’on eût chaîné les pneus (Julien Gracq, Un Balcon en forêt, 1958).
La Grande Grammaire du français (2021) est d’accord (chap. XIV, section 5, p.1607) :
La construction existe depuis le XVIIe siècle. Aujourd’hui, l’expression relève surtout d’un registre informel.
Donc la règle malgré que + avoir est l’exemple même d’une règle zombie, le vestige d’un usage disparu auquel on n’a plus accès : qui comprend aujourd’hui « malgré que j’en aie » ?
Anne Abeillé
Pour aller plus loin :
Claire Beyssade (2021) « les subordonnées concessives », in A. Abeillé, D. Godard (dir) La Grande Grammaire du français, chap. XIV, section 5, p.1600-1617. https://grandegrammairedufrançais.com/
Julie Glikman (2019) « Les locutions conjonctives malgré que et à cause que : normes et usages en diachronie », in Des parlers d’oïl à la francophonie. Contact, variation et changement linguistiques. A. Dufter, K. Grübl, T. Scharinger (eds), Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie 440, De Gruyter, p. 75-96. https://shs.hal.science/halshs-03127187/document
Est-ce une faute d’employer malgré que? L’Académie Française écrit dans son dictionnaire: « Même si de nombreux écrivains ont employé Malgré que dans le sens de Bien que, quoique, il est recommandé d’éviter cet emploi » sans dire pourquoi. Elle reconnait bien l’existence de malgré que mais selon elle, il ne s’emploie qu’« avec le verbe avoir conjugué au subjonctif: malgré que j’en aie». Sans dire pourquoi.
D’où vient l’idée d’une conjugaison unique avec avoir?
Retournons au XIIIe siècle pour comprendre. Malgré vient de la soudure de mal gré (mauvais gré, mauvaise volonté) comme beaucoup de beau coup (une belle coupe = un bon morceau). En se soudant en un seul mot, malgré devient une préposition, de la même façon que beaucoup devient un adverbe. Donc le tour (c’est-à-dire le fait d’utiliser une certaine forme) en avoir vient de cet emploi nominal, lorsque le nom gré était l’antécédent d’une subordonnée relative et correspondait au complément d’avoir : quelque mauvais gré que j’aie (= malgré ma mauvaise volonté).
Pourtant, l’Académie française reconnait dès la première édition de son dictionnaire au XVIIe siècle que malgré est devenu une préposition (malgré moi, malgré la pluie). Ainsi, si ce n’est plus un nom, il ne peut plus être complément du verbe avoir. Recommander malgré que j’en aie, c’est donc perpétuer un usage obsolète, devenu incompréhensible par la soudure de mal et gré. Voilà notre règle zombie.
Le TLFi juge le tour en avoir « vieilli » : si on veut le maintenir, il faudrait l’écrire mal gré.
Alors quel(s) verbe(s) après malgré que?
Qu’en est-il de l’usage de malgré que sans avoir ? Il s’est développé sur le modèle des autres subordonnées circonstancielles qui commencent volontiers par une préposition suivie de que : avant que, après que, pendant que pour les subordonnées temporelles, selon que pour les subordonnées conditionnelles, pour que, pour celles de but, etc. On a là une règle générale, que suit parfaitement malgré que. Rien ne nous oblige à utiliser bien que.
Et bien des écrivains l’ont employé, de Balzac (1820, malgré que Stuart les ait vus conjurés), à Annie Ernaux (1977, J’ai regretté alors d’avoir tout raconté, malgré que ce soit surtout médical et technique), en passant par André Gide (1907, malgré que le fils aîné vous souffle), ou Roger Martin du Gard (1955, je n’ai pas hésité, malgré que ce dût être une œuvre en plusieurs volumes).
Pourtant, la pression de la norme puriste nous embarrasse, et nous pousse parfois à dire malgré le fait que, pour éviter malgré que. C’est ce qu’on appelle l’hypercorrection : inventer un tour complexe, maladroit, par peur de commettre une faute (qui justement n’en est pas une).
Un usage de plusieurs décennies
Déjà en 1949, le linguiste belge Joseph Hanse écrivait à propos de malgré que (Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicologiques, Paris Bruxelles, Baude, 1949, p. 423) :
Dans le Bon Usage, Maurice Grevisse et André Goosse reconnaissent malgré que comme locution conjonctive (2011, p 1563) :
par exemple : malgré qu’on eût chaîné les pneus (Julien Gracq, Un Balcon en forêt, 1958).
La Grande Grammaire du français (2021) est d’accord (chap. XIV, section 5, p.1607) :
Donc la règle malgré que + avoir est l’exemple même d’une règle zombie, le vestige d’un usage disparu auquel on n’a plus accès : qui comprend aujourd’hui « malgré que j’en aie » ?
Anne Abeillé
Pour aller plus loin :
Claire Beyssade (2021) « les subordonnées concessives », in A. Abeillé, D. Godard (dir) La Grande Grammaire du français, chap. XIV, section 5, p.1600-1617. https://grandegrammairedufrançais.com/
Julie Glikman (2019) « Les locutions conjonctives malgré que et à cause que : normes et usages en diachronie », in Des parlers d’oïl à la francophonie. Contact, variation et changement linguistiques. A. Dufter, K. Grübl, T. Scharinger (eds), Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie 440, De Gruyter, p. 75-96. https://shs.hal.science/halshs-03127187/document
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correct/incorrect malgré que purisme règles zombies