En ce jour d’Halloween, nous inaugurons une nouvelle série sur le blog, avec de courts billets pour comprendre comment certains phénomènes fonctionnent. Il sera question… de règle zombie !
Les linguistes atterrées répondent régulièrement à des questions que les auditeurs et auditrices adressent à la médiatrice de Radio France à propos de la langue. Aujourd’hui, nous vous proposons un premier billet dans la série “comment ça marche” pour comprendre le débat autour de par contre, à partir d’une question qu’on voit souvent passer : « entre en revanche et par contre, quelle est la forme recommandée ? »
Par contre qu’est-ce donc ?
Comme par ailleurs et en effet, par contre est une locution adverbiale, c’est-à-dire qu’elle est composée de plusieurs mots graphiques et joue le rôle d’adverbe. Apparu au XVIe siècle, ce connecteur exprime une relation de contraste.
Pourquoi son emploi serait-il déconseillé ?
En réalité, on ignore d’où vient précisément la généralisation de sa mauvaise réputation. Il semble qu’il s’agisse surtout d’un gout personnel… celui de Voltaire. Le philosophe français du XVIIIe siècle ne l’aimait pas et considérait qu’elle devait être cantonnée à un style commercial.
Le dictionnaire Littré a suivi son avis, mais sans le justifier. L’Académie française mentionne que cette locution est d’usage chez d’excellents auteurs, mais signale qu’il est d’usage de la déconseiller (sans pour autant la juger fautive). Comprenne qui pourra !
Qu’en disent les dictionnaires aujourd’hui ?
Le Robert parle d’un usage critiqué et le Larousse recommande en revanche, au contraire ou du moins dans l’expression soignée. Même les correcteurs automatiques proposent de ne pas l’utiliser. On assiste là à une condamnation sans procès et sans présomption d’innocence : par contre subit une injustice scandaleuse !
Qu’observe-t-on dans les usages écrits ?
On conseille souvent de lui substituer la locution en revanche, pourtant, par contre est validé par Le Bon usage de Maurice Grevisse, « malgré la résistance des puristes ». La locution est même indiquée comme étant « entré[e] dans l’usage général même le plus exigeant depuis le XIXe siècle ».
Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), indique une citation de 1966 qui légitime l’utilisation de cette locution, et d’après Frantext (base de données composée en majorité de textes littéraires), il y a autant d’occurrences de par contre que de en revanche tout au long du XXe siècle. Elle est même plus fréquente entre 1940 et 1960 par rapport à en revanche.
Chez Jean Giono, on trouve une seule occurrence de en revanche, contre 53 occurrences de par contre. Il est difficile d’avancer l’argument que cette locution n’est pas d’usage courant voire littéraire…
Par contre et en revanche sont-ils synonymes ?
André Gide a signalé que la substitution par contre / en revanche n’était pas toujours possible : « Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils. » ? Ici, par contre exprimerait une opposition générique, alors que en revanche introduit l’idée d’un avantage, d’un aspect positif. Cette nuance existe-t-elle toujours ?
Il semble que cette différence de sens utile entre en revanche et par contre se soit perdue à cause d’un purisme toxique. Prenant à rebours un argument régulièrement avancé par les tenants d’une langue riche, ne pourrait-on pas dire que le purisme a précisément conduit à un appauvrissement en supprimant là une nuance qui était intéressante ? Les fausses informations sont aussi dans le domaine de la grammaire et peuvent entrainer des conséquences fâcheuses. En fait, déconseiller par contre est une règle « zombie » : cette recommandation devrait être morte, n’a aucune raison d’être transmise, mais continue à gigoter comme un zombie.
En conclusion, comme aurait pu le dire Albert Camus : mal nommer un mot de liaison, c’est ajouter au malheur du monde…
Christophe Benzitoun
Voir la vidéo du 31/03/2022 sur le site de Radio France: https://mediateur.radiofrance.com/videos/par-contre-christophe-benzitoun/
En ce jour d’Halloween, nous inaugurons une nouvelle série sur le blog, avec de courts billets pour comprendre comment certains phénomènes fonctionnent. Il sera question… de règle zombie !
Les linguistes atterrées répondent régulièrement à des questions que les auditeurs et auditrices adressent à la médiatrice de Radio France à propos de la langue. Aujourd’hui, nous vous proposons un premier billet dans la série “comment ça marche” pour comprendre le débat autour de par contre, à partir d’une question qu’on voit souvent passer : « entre en revanche et par contre, quelle est la forme recommandée ? »
Par contre qu’est-ce donc ?
Comme par ailleurs et en effet, par contre est une locution adverbiale, c’est-à-dire qu’elle est composée de plusieurs mots graphiques et joue le rôle d’adverbe. Apparu au XVIe siècle, ce connecteur exprime une relation de contraste.
Pourquoi son emploi serait-il déconseillé ?
En réalité, on ignore d’où vient précisément la généralisation de sa mauvaise réputation. Il semble qu’il s’agisse surtout d’un gout personnel… celui de Voltaire. Le philosophe français du XVIIIe siècle ne l’aimait pas et considérait qu’elle devait être cantonnée à un style commercial.
Le dictionnaire Littré a suivi son avis, mais sans le justifier. L’Académie française mentionne que cette locution est d’usage chez d’excellents auteurs, mais signale qu’il est d’usage de la déconseiller (sans pour autant la juger fautive). Comprenne qui pourra !
Qu’en disent les dictionnaires aujourd’hui ?
Le Robert parle d’un usage critiqué et le Larousse recommande en revanche, au contraire ou du moins dans l’expression soignée. Même les correcteurs automatiques proposent de ne pas l’utiliser. On assiste là à une condamnation sans procès et sans présomption d’innocence : par contre subit une injustice scandaleuse !
Qu’observe-t-on dans les usages écrits ?
On conseille souvent de lui substituer la locution en revanche, pourtant, par contre est validé par Le Bon usage de Maurice Grevisse, « malgré la résistance des puristes ». La locution est même indiquée comme étant « entré[e] dans l’usage général même le plus exigeant depuis le XIXe siècle ».
Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), indique une citation de 1966 qui légitime l’utilisation de cette locution, et d’après Frantext (base de données composée en majorité de textes littéraires), il y a autant d’occurrences de par contre que de en revanche tout au long du XXe siècle. Elle est même plus fréquente entre 1940 et 1960 par rapport à en revanche.
Chez Jean Giono, on trouve une seule occurrence de en revanche, contre 53 occurrences de par contre. Il est difficile d’avancer l’argument que cette locution n’est pas d’usage courant voire littéraire…
Par contre et en revanche sont-ils synonymes ?
André Gide a signalé que la substitution par contre / en revanche n’était pas toujours possible : « Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils. » ? Ici, par contre exprimerait une opposition générique, alors que en revanche introduit l’idée d’un avantage, d’un aspect positif. Cette nuance existe-t-elle toujours ?
Il semble que cette différence de sens utile entre en revanche et par contre se soit perdue à cause d’un purisme toxique. Prenant à rebours un argument régulièrement avancé par les tenants d’une langue riche, ne pourrait-on pas dire que le purisme a précisément conduit à un appauvrissement en supprimant là une nuance qui était intéressante ? Les fausses informations sont aussi dans le domaine de la grammaire et peuvent entrainer des conséquences fâcheuses. En fait, déconseiller par contre est une règle « zombie » : cette recommandation devrait être morte, n’a aucune raison d’être transmise, mais continue à gigoter comme un zombie.
En conclusion, comme aurait pu le dire Albert Camus : mal nommer un mot de liaison, c’est ajouter au malheur du monde…
Christophe Benzitoun
Voir la vidéo du 31/03/2022 sur le site de Radio France: https://mediateur.radiofrance.com/videos/par-contre-christophe-benzitoun/
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en revanche langage par contre règles zombies